À quel moment devient-on mère ?

J’ai vécu un jour ce moment suspendu dans le temps.

La scène se passe, étrangement, dans un aéroport. Je vais chercher mon fils, Robin, qui est allé passer le week-end chez son papa. Ce jour-là, je suis arrivée en avance, ce qui est rare. Plantée devant la sortie par laquelle mon rejeton est censé arriver, j’attends, en tapotant vaguement sur mon Smartphone.

Une bande de zigotos débarque, porteuse de banderoles, criant des slogans. Je m’écarte d’eux, légèrement agacée : une manif, il ne manquait plus que ça. Pendant les dix minutes qui précèdent l’arrivée de l’avion, la clameur ne fait que s’amplifier, portée par l’écho qui rebondit inlassablement sur les hauts murs du hall d’arrivée. Animés d’une frénésie incompréhensible, des jeunes et des vieux chantent, scandent une phrase dont je ne saisis pas les mots et dansent, sous le regard réprobateur d’un public exclu.

Enfin, en haut de l’escalator des personnes apparaissent. Ça y est, l’avion commence à se vider. Les yeux plantés sur la première marche là-haut, j’espère que Robin va finir par se montrer pour me libérer de ce chahut désagréable. Les uns après les autres, les gens descendent, fouillant la foule du regard, étonnés eux aussi par ce comité d’accueil hurlant.

Toujours concentrée sur la première marche là-haut, je vois apparaître une femme. Pâle, les traits tirés, les cheveux blonds un peu décoiffés, elle porte un enfant, un nourrisson à la peau sombre. Elle s’arrête un instant… regarde devant elle, puis, un léger sourire aux lèvres, elle pose un pied prudent sur la première marche.

Je réalise alors qu’il n’y a plus qu’elle sur l’escalator. Et la tête penchée vers le visage de l’enfant endormi, elle se laisse emmener. Elle porte un collier de fleurs fraîches autour du cou. À mi-parcours, la clameur se tait subitement. Un frisson me parcourt de la tête aux pieds et jetant un coup d’œil autour de moi, je m’aperçois que tous les yeux sont désormais fixés sur cette femme et son enfant.

Le silence s’est fait. Une émotion poignante me saisit, presque tangible, partagée par toutes les personnes assistant à la scène, tandis que la femme pose le pied sur le sol et que, lentement, le groupe se fend pour l’accueillir, elle et son enfant, que chacun l’entoure, les uns pleurant, les autres riant.

Une hôtesse à côté de moi chuchote à mon intention : « il y a parfois de ces moments magnifiques dans les aéroports… ». Je me tourne vers elle alors que, discrètement, elle essuie une larme. Une main se pose alors sur mon épaule, me faisant sursauter. C’est mon fils, que je n’ai pas vu descendre l’escalator. « Qu’est-ce que tu as maman ? Tu es bizarre », me demande-t-il.

Et m’éloignant à ses côtés après avoir jeté un dernier regard vers le petit groupe rassemblé, je lui raconte comment, ici et aujourd’hui, sans qu’une parole soit prononcée, une femme est devenue mère aux yeux du monde.

Je dédie ce texte à Gisèle.